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Il nous manquait une voix comme ça en France. La voici, une vraie voix soul, jazz, blues, d’aujourd’hui.

Qui n’a pas appris à chanter avec Céline Dion ou Lara Fabian, mais avec Koko Taylor, Etta James, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan...
Qui a mûri à l’école de la rue puis sur toutes les scènes de France et d’ailleurs, des plus petites aux plus grandes. A l’ancienne. Une voix qui, aujourd’hui, évoque celle de grandes dames comme Joni Mitchell ou Rickie Lee Jones...

Le mot clé est ici soul, l’âme : la voix de Justine est chargée de soul, et le jeu de son groupe aussi. Constitué d’excellents musiciens – Enzo Taguet (guitares), Romain Delorme (basse), Toussaint Guerre (claviers, saxophone), Pedro Coudsi et Curtis Ella Foua (batterie) –, il pratique un groove léger mais implacable, plein de swing, au parfum rhythm’n’blues évoquant des formations mythiques comme Little Feat ou The Neville Brothers.
Ajoutez à cela des chœurs et des cuivres superbes, arrangés façon Al Green, et vous obtenez un album qui sonne d’enfer. International. Normal, puisqu’il a été produit par Neil Conti, grand sorcier anglais du rythme et du son (ex-batteur de Prefab Sprout, de David Bowie et de tant d’autres), dans son studio du Sud de la France.

Ce premier album de Justine Blue, True, contient treize titres fabuleux. Onze originaux qui sonnent comme des classiques et deux covers qui annoncent la couleur et placent la barre très haut : Willie And The Hand Jive, joué non pas à la façon lymphatique d’Eric Clapton, qui l’a popularisé, mais dans la version originale de son compositeur, Johnny Otis, et Yellow Moon, des Neville Brothers. Chanter cette dernière après Aaron Neville, il fallait oser. Justine et son groupe l’ont fait, et s’en sortent haut la main. Ça groove de façon infernale et la voix de la chanteuse est un pur délice.
Le reste est à l’avenant, avec des titres qui accrochent l’oreille et donnent envie d’y revenir. Il y a même un hit en puissance, Gold In Our Hands, qui évoque par son rythme et son ambiance cool l’atmosphère festive du All I Wanna Do de Sheryl Crow. Justine : Tu me compares à elle quand tu veux ! J’ai beaucoup baigné dans le rhythm’n’blues New Orleans, mais aujourd’hui, ma musique devient plus pop, se simplifie, c’est ce qui sort.
True, qui ouvre l’album et lui donne son titre, avec son refrain entêtant, donne le ton des textes de ce disque : Je suis dans une quête de vérité, d’honnêteté, ça m’importe beaucoup. J’en parle dans ce titre, ‘I’ve got to listen to my heart / I’ve got to follow what I feel’. Il y a des histoires personnelles, pas forcément très heureuses. Mais j’ai envie d’en découdre, de délivrer un message positif, il y a toujours un espoir derrière tout ça. C’est ce que les bluesmen recherchent. C’est ça qui me plait, je ne suis pas trop dans la déprime quotidienne.

Car Justine vient du blues. Avec ses divers groupes précédents, elle a remporté le premier prix révélation du Tremplin Blues sur Seine, joué dans des festivals, tourné jusqu’au Canada. Puis, en 2020, elle a tout rassemblé sous ce seul nom, Justine Blue. Un premier EP a été l’occasion de découvrir l’équipe de l’album : J’ai rencontré Neil Conti il y a six ans, je suis allée faire mon EP chez lui, avec Jeff Fernandez, son ingénieur du son, qui est excellent. J’ai adoré ce binôme et donc je suis revenue. Entre temps, j’ai aussi jammé sur scène avec Lazy Sundaze, le supergroupe de Neil qui jouait dans un club tous les dimanches, comme à Londres, avec les meilleurs musiciens de la région et d’Angleterre venus improviser sous sa direction. Pour l’album, comme Neil est anglais, j’en ai profité, s’il y avait un petit souci au niveau de mes textes, ou de la prononciation. On a aussi fait les arrangements de chœurs ensemble, et il joué des percussions et drivé le batteur. Et tout ça s’entend ! Rares sont les groupes français qui jouent aussi naturellement cette musique. Et très rares sont les chanteuses de chez nous qui maîtrisent aussi bien leur voix et leurs textes en anglais.
Aujourd’hui, sur cet album, le blues n’est plus qu’une toile de fond. On navigue entre ambiances jazzy (What Am I To Do), funky (No Filter avec son phrasé parfait, aux confins du rap), soul (Rock Me Baby) et ballades à fendre l’âme (It Makes Me Feel Alright et ses cuivres divins, I Thought I Was Alone et sa sublime mélodie acrobatique, un autre hit en devenir).
Il y a même un morceau enregistré live en studio, B.B.B.B.B. (Bye Bye Big Bad Blues), une improvisation hallucinante à trois (guitare, batterie, chant), absolument jouissive, qui donne une bonne idée des capacités de la chanteuse et de son groupe sur scène, où, à l’aise comme des poissons dans l’eau, ils raflent régulièrement la mise, au plus grand bonheur des spectateurs enchantés : spécialistes ou pas, tout le monde se laisse emporter.

Le disque se conclut sur une chanson très émouvante, un final parfait – embelli par un solo de guitare absolument céleste, comme si David Gilmour se lançait dans une improvisation jazz –, Fallin’, dont le thème touche particulièrement Justine : Voir les gens dormir dehors, c’est un truc qui me choque. Le fait d’avoir chanté dans la rue m’a bien sûr sensibilisé à ça. Il y a des rencontres festives, où c’est plus un choix, une expérience de vie, une dramatisation, ou une fuite, de la famille, du cocon, un endurcissement volontaire. Mais pour d’autres, c’est vraiment la décrépitude, tout allait bien, ça tenait sur un fil et ça a craqué. Ce sont souvent des personnes qui ont une grosse sensibilité. J’avais envie d’en parler. C’est cette sensibilité qui nous fait vivre, qui fait l’art, les relations, la vie.

Stan Cuesta